Par Raphaëlle Chossenot
En dépit de la proximité de la capitale, le territoire qui correspond à la Seine-et-Marne ne manquait pas d’atouts aux XVe-XVIIe siècles. Coulommiers, Provins, Meaux étaient des centres politiques, religieux et économiques et artistiques, en particulier en matière de vitrail, ce dont témoignent les ensembles des églises de Provins, Champeaux, Coulommiers et Melun.
Si l’influence des importants foyers de production à Paris, Sens et Troyes est perceptible à Melun1 ou à Provins (cf. le style dit « troyen » de certains vitraux de l’hôtel-Dieu et de l’église Sainte-Croix), cela ne doit pas oblitérer la présence de peintres-verriers implantés localement et dont l’existence est attestée par les sources anciennes. Ces dernières, bien qu’assez rares, nous éclairent sur la production et l’entretien des vitraux de la région aux XVIe-XVIIe siècles. Bien qu’il soit difficile de leur attribuer des œuvres précises2 , on peut néanmoins répertorier les peintres-verriers actifs, repérer des dynasties locales, déterminer la part des « autochtones » et celle des « étrangers », dresser le panorama de leur activité et caractériser celle-ci. Quels types de travaux ces peintres-verriers effectuèrent-ils (entretien ? création ?), suivant quelles modalités (rémunérations ponctuelles ? contrats d’entretien ?).
On trouve des mentions de peintres verriers dans de multiples communes de Seine-et-Marne, comme Bray-sur-Seine, Sablonnières, Melun, Montereau-Fault-Yonne… Dans l’ensemble, il s’agit souvent d’artisans isolés ou de petits ateliers mal connus, où l’on ne détecte que rarement l’existence de « dynasties » de peintres-verriers, à de rares exceptions près : les Savoie sont repérés à Coulommiers dans les années 1520-1540 environ et les De La Croix à Melun de 1550 à 1570.
L’organisation du métier n’a pas laissé de trace, on ignore s’il y avait des statuts et/ou des confréries qui l’auraient encadré. Le métier s’exerçait-il « librement » ou était-il inclus dans un groupe de métiers plus vaste ?
L’activité de ces peintres-verriers locaux concernait en majorité l’entretien et la réparation, beaucoup moins la « création » de vitraux en tant que telle. Les chantiers, multiples et dispersés, impliquaient de nombreux déplacements, à plus ou moins longue distance. Ainsi, en 1473-74, Guillin de Forges vint de Provins pour réparer des vitraux dans l’église de Coulommiers, sise à une quarantaine de km de distance3 . En 1517 et 1520, Alain Courgon, de Melun, couvrit environ dix-sept km pour se rendre à Andrezel où il devait réparer des verrières4 . À la même période c’est probablement lui qui, avec son confrère Nicolas Maçon de Melun, couvrit la même distance, à la demande du chapitre de la collégiale de Champeaux, pour la « façon » de sept verrières et pour des réparations dans la collégiale Saint-Martin5 .
Alain Courgon et Nicolas Maçon font partie de la dizaine de peintres-verriers établie à Melun au XVIe siècle. Cette ancienne résidence royale devenue, à partir du XVIe siècle, un chef-lieu administratif, abrita quelques grandes familles ainsi que d’éventuels commanditaires bourgeois6 . La ville comptait quelques édifices religieux importants comme l’église Saint-Aspais et les églises disparues de Saint Barthélemy et de Saint-Ambroise. Cependant, si on ne connaît pas les auteurs des vitraux de Saint-Aspais et les responsables de leur entretien, les sources locales nous apprennent que ce sont des peintres-verriers de la ville qui ont assuré les travaux de réfection des vitreries et des verrières de Saint Barthélemy7 . L’activité de leurs confrères n’est pas identifiée à Melun même ; en revanche, on les connaît par les travaux qu’ils ont effectués dans des édifices extérieurs.
Ainsi, certains ont œuvré pour la petite église Saint-Jean-Baptiste d’Andrezel qui illustre bien, pour sa part, la manière dont étaient « gérés » les vitraux d’un édifice de moindre importance sis dans une petite commune rurale : grâce aux comptes de la fabrique, relativement complets, on sait que l’édifice avait reçu des vitraux au début du XVIe siècle8 , mais que ceux-ci n’étaient pas entretenus tous les ans comme cela pouvait se pratiquer ailleurs. Faute de pouvoir recourir à des peintres-verriers établis localement, la fabrique confia l’entretien des vitraux à des artisans venus de localités différentes, dont – comme nous l’avons vu –, des peintres-verriers de Melun (Pierre Leclerc, Alain Courgon et Jehan de la Croix9), mais aussi de Chaumes10 (Nicolas Lansson/Mausson, Nicolas Lebrun et Jehan Duchesne, voir tableau 1).
Peintres-verriers intervenus dans l’église Saint-Jean-Baptiste d’Andrezel, XVe-XVIIe s.
Nom et lieu d’établissement |
Période d’activité |
Type de travail effectué : Création (C) / Réfection (R) |
Chaumes |
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Nicolas Lansson/Mausson |
1576‑1578 |
R 1576 : racoustre les verrières pour 70 s. t. |
Nicolas Lebrun |
1597-1608 |
R 1597 : racoustre les victres pour 11 l. t. |
Jehan Duchesne |
1613‑1614 |
R 1613 : relève et racommode les victres pour 70 s. t. |
Melun |
||
Pierre Leclerc |
1499 |
R 8 s. p. pour la pose d’un panneau à une verrière |
Alain Courgon |
1517 et 1520 |
R réfection des verrières pour 23 s. p. et 12 s. t. |
Jehan Legris |
1525 |
C : façon d’une verrière (petite) |
Pierre Faye |
1534‑1536 |
R 1534 : réfection de toutes les victres pour 27 s. 6 d. |
Jehan de La Croix |
1556 |
R réfection des verrières pour 4 s. 2 d. t. |
Montereau‑Fault‑Yonne |
||
Guillaume/Jehan |
1498 |
C 37 s. p. pour la pose d’une verrière |
Pareil phénomène a été mis en avant par F. Perrot à propos de l’église Saint-Denis-Sainte-Foy de Coulommiers où les marguilliers ont fait appel à des artistes parisiens (pour des vitraux) ou venus d’autres localités de la région (La Ferté-sous-Jouarre, Meaux…), peut-être en fonction de réputations ou de réseaux qui leurs étaient propres (voir encadré ci-dessous). Les vitraux de certains édifices religieux de Provins témoignent de pratiques similaires11 .
Les vitraux de l’église Saint-Denis-Sainte-Foy de Coulommiers, à la croisée des influences champenoises et parisiennes
L’église actuelle de Saint-Denis-Sainte-Foy de Coulommiers conserve de nos jours cinq verrières de la 1re moitié du XVIe siècle qui proviennent de l’ancienne église Saint-Denis (L. Grodecki, F. Perrot et J. Taralon, Les vitraux de Paris, de la région parisienne, de la Picardie et du Nord-Pas-de-Calais (Corpus vitrearum. Recensement I), Paris, 1978, p. 94-95).
On doit à A. Vernon la publication des comptes (disparus depuis) de la marguillerie pour les XVe-XVIIe siècles. Celle-ci a eu recours à des artistes extérieurs (parisiens ou originaires d’autres localités de la région comme La Ferté-sous-Jouarre ou Meaux) pour faire les différents travaux12 .
En ce qui concerne le vitrail, c’est tout d’abord le « voirier » de Provins Guillin de Forges qui, en 1473 1474, fut amené à « refaire et mettre à point les verrières » de l’église.
Une vingtaine d’années plus tard, en 1492-1493, c’est à un « verrier » parisien, Jean Damours, qu’on fit appel pour réaliser trois verrières dans la chapelle Notre-Dame dont une à son chevet13 . Par la suite, dans le premier tiers du XVIe siècle (années 1530), c’est à nouveau des peintres-verriers extérieurs qui réalisèrent des vitraux : l’Histoire de Joseph est attribuée au parisien Jean Chastellain14 tandis que l’Histoire de Daniel (1538) est due, comme l’atteste un contrat passé avec la fabrique, au champenois (?) Étienne de la Vallée15. Le peintre-verrier avait promis de réaliser l’Histoire de Daniel en grisaille et jaune d’argent « pareille et semblable » à celle de Sain-Pantaléon de Troyes « ou tout au moins de six histoires dudit Daniel les plus belles et apparentes », accompagnées de l’image de saint Fiacre au tympan. On ignore si le saint Fiacre conservé de nos jours est celui qui est évoqué dans le marché. L’Histoire de la Croix, dont le style est assez similaire, lui est peut-être également due.
Les vitraux d’un même édifice pouvaient donc avoir été posés et être entretenus par des intervenants différents. À l’opposé de ces interventions ponctuelles, assez fréquentes dans la région, on repère que certaines fabriques passaient des contrats avec un peintre-verrier pour l’entretien des vitraux sur le long terme. On en trouve la trace à Bazoches-lès-Bray : en 1664, la fabrique de l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul passa un contrat de neuf ans avec Jean Haran le jeune (de Bray-sur-Seine) pour l’entretien des vitreries pour la somme de 6 l. t./an. Le peintre-verrier n’était pas tenu d’effectuer les grosses réparations survenues « par accident de fouldre ou par viollent degait de guerre » (voir encadré ci-dessous). L’intérêt de ces contrats, pour la fabrique, ne semble pas reposer sur de réelles économies, le rabais étant faible. Toutefois, le fait d’assurer l’entretien régulier des vitraux permettait de les préserver sur le long terme et de les rendre plus résistants.
Ce type de mesure ne pouvait empêcher la survenue de dégâts importants qui étaient provoqués régulièrement par des phénomènes climatiques (grêle, grands vents, etc.). Cela occasionnait en général de grandes campagnes de réfection relativement coûteuses.
Un exemple de contrat d’entretien de vitraux au XVIIe siècle
La fabrique de l’église Notre-Dame de Moret-sur-Loing passa un contrat pour l’entretien de ses vitraux en 1665 avec le vitrier de Montereau16 Robert Marot qui accepta, le 15 février, de faire toutes les réparations aux vitres de l’église et de « les mettre en pareil état et couleur qu’elles étaient ci-devant et à les entretenir » pendant neuf ans.
« Sera tenu de faire lesdites vitres de pareille couleur et de même représentation qu’elles sont, à l’égard seulement du grand portail, la vitre de la vie de Saint-Jean qui est proche les fonts, les trois grands ronds au-dessus du maître-autel, tous les petits ronds qui sont dans le chœur et les vitres de la chapelle Notre-Dame de Pitié et Sacristie. Et, à l’égard des panneaux d’histoire antique qui ont des figures imparfaites, en temps qu’il est nécessaire, ledit Marot les pourra mettre en verre blanc avec bordure de couleur et ce jusques à un pied carré ».
L’acte fut passé devant Me Nicolas Bouquot, notaire à Moret17 .
Certains peintres-verriers étaient polyvalents, exerçant dans des domaines proches comme la peinture ornementale (de sculptures, de décors) ou la « plomberie ». Le mouvement paraît s’être accentué durant la 2nde moitié du XVIe siècle en raison de la baisse de la demande en vitrail traditionnel. On en veut pour preuve le paiement, en 1593-94, de 55 l. à « Rolland Ponnier [?], verrier à Meaux, pour la réfection des verrieres de l’église et pour avoir ycelluy repaind touttes les ymages de ladicte église » actuellement détruite de Saint-Barthélemy de Germigny-l’Évêque18 . On peut aussi citer le paiement de 6 l. t. à « Jehan Dupuis, maître vitrier et peintre à Château-Landon, pour avoir refondu avec l’estain la grande gottière de plomb de ladite église et à icelle apposé table de plomb » (Château-Landon, église Notre-Dame, compte de 1611-1612).
Conclusion
Faute de sources, la part de la création locale est difficile à évaluer. On sait cependant que des peintres-verriers étaient implantés localement, que ceux-ci effectuaient en majorité des travaux d’entretien et que certains étaient polyvalents. L’entretien, loin d’être une activité mineure, contribuait à assurer la longévité des vitraux qui sont soumis au quotidien à de nombreuses agressions, insidieuses (corrosion, etc.) ou brutales.
Durant la 2nde moitié du XVIe siècle, face à la baisse de la demande en vitrail traditionnel, une partie de ces peintres-verriers a su s’adapter au changement de conjoncture et a certainement réorienté son activité vers des domaines proches.
1 Plusieurs verrières de l’église de Saint-Aspais sont attribuées au parisien J. Chastellain (http://inventaire.iledefrance.fr/recherche/globale?texte=chastellain&type=).
2 Les vitraux conservés sont rarement documentés et, inversement, les sources anciennes témoignent de l’existence de vitraux qui ont disparu.
3 A. Vernon a publié des extraits de comptes relatifs à cette église dans le Bulletin de la conférence d’histoire et d’archéologie du diocèse de Meaux, 2 (1899-1901), p. 7-26, 29-38 et 4-1 (1904), p. 17-25. Voir aussi F. Perrot, « L’activité artistique à Coulommiers aux XVe et XVIe siècles », dans Utilis et lapis in structura, Mélanges en l’honneur de Léon Pressouyre, Paris, CTHS, 2000, p. 413-421, ici p. 416.
4 Arch. dép. Seine-et-Marne : église d’Andrezel, 59G23.
5 Entre autres : Abbé Gilles Leroy, « Les vitraux de la collégiale de Champeaux-en-Brie, restitués d’après d’anciens documents », Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, (1896), p. 101-115.
6 Parmi lesquels les Malhoste, donateurs d’un vitrail à Saint Aspais.
7 L’édifice a subi de nombreux dégâts au fil du temps, cf. http://www.culture.gouv.fr/documentation/merimee/PDF/sri11/IA77000411.pdf, consulté le 29 août 2017. Les travaux ont été effectués par Jehan Legris, Pierre Faye et Bastien Desbordes (Arch. dép. Seine-et-Marne, 383G3-G4).
8 Arch. dép. Seine et Marne : 59G23 à G26. Des vitraux avaient été placés, entre autres, par « Jehan de Baudrymont, voirier demourant à Montereau ou Fault Yonne » (fin du XVe siècle) ainsi que par « Allain Courgron [?], voyrier demourant à Mellun » (en 1517). L’église n’est pas évoquée dans le Corpus vitrearum. Recensement I, Paris, 1978.
9 Ibid.
10 Chaumes se trouve à une dizaine de km d’Andrezel.
11 Les vitraux de la Légende de Saint-Lié de l’hôtel-dieu portent la marque de l’« école troyenne ». Il pourrait s’agir d’œuvres réalisées par des artistes « extérieurs » ou de copies de vitraux de style troyen effectuées localement (F. Perrot, « Les vitraux de l’Hôtel-Dieu de Provins (XVe-XVIe s.) », Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Provins, 128 (1974), p. 39 51).
12 Pour la maçonnerie, on s’est ainsi surtout adressé à des artisans de Meaux. Voir bibliographie note 3.
13 A. Vernon, « Comptes de la marguillerie… », art. cit., ici p. 13.
14 J. Chastellain aurait réalisé l’Histoire de Joseph (baie 6) sur un patron de Noël Bellemare (G.-M. Leproux, La peinture à Paris sous le règne de François Ier, Paris, 2001, p. 172-173).
15 Étienne de la Vallée est moins bien connu. Ses œuvres se situent à Coulommiers et à Châlons-en-Champagne (Marne), cf. F. Perrot, « L’activité artistique à Coulommiers aux XVe et XVIe siècles », art. cit., p. 413-421 et M. Hermant, « Étienne de la Vallée. Un peintre et verrier de la Renaissance entre la Champagne et Paris », Revue de l’Art, 161-3 (2008), p. 29-39 fig.
16 Il s’agit probablement Montereau-Fault-Yonne plutôt que de Montereau-sur-le-Jard car cette commune est plus importante et plus proche en distance.
17 A. Didon, « Les vitraux disparus de l’église de Moret », Bulletin d’histoire et d’Archéologie du diocèse de Meaux, (1954), p. 193-201.
18 Arch. dép. Seine-et-Marne, église de Germigny-l’Évêque, 261G3.